Errol COHEN avocat au cabinet LE PLAY
Mon activité d’affaires m’a introduit, dès 2011, dans le groupe de Mines ParisTECH au Collège des Bernardins. Dés 2014, j’ai participé à plusieurs premières expérimentations de l’entreprise à mission dès avant la loi, en travaillant à la rédaction des statuts et à l’analyse de leurs effets. J’ai aussi suivi la « fabrication » de la Loi PACTE avec les députés. Notre cabinet Le PLAY accompagne plusieurs groupes sur le chemin de la société à mission.
Mon analyse ne s’arrête pas à l’analyse purement juridique et je m’efforce de comprendre les dérives et les défis qui marquent l’entreprise contemporaine depuis trois décennies. Je suis aussi l’auteur du livre « la société à Mission : enjeux pratiques de l’entreprise réinventée, ed.Hermann, juin 2019).
La dépendance des dirigeants d’entreprise vis-à-vis des actionnaires et la recherche exacerbée d’une profitabilité maximale à court terme de la part de ces derniers ont conduit à la crise financière de 2008.
Toutefois, cette problématique n’est pas le propre des banques. Elle concerne toutes les sociétés dans lesquels les actionnaires ont un objectif exclusivement spéculatif.
L’Afrique connait ces problèmes et c’est dans ces conditions qu’on observe depuis quelques années la montée en puissance de la RSE – Responsabilité sociétal des entreprises. Ce développement est notamment dû aux législations internationales en vigueur, à la prise en compte de ces sujets par une classe moyenne de plus en plus sensible et enfin, à la nature des investisseurs internationaux, de la norme du développement.
La Loi PACTE : raison d’être et société à mission
Or, parallèlement en France, il n’est en rien exagéré́ de dire que l’entreprise de demain vient de naitre et il serait intéressant pour le continent Africain de se saisir de cette innovation récente. Le droit a enfin joué́ pleinement son rôle. La loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) du 11 avril 2019 promulguée le 22 mai 2019 vient d’écrire une page importante de l’histoire des entreprises qui pourrait prochainement intéresser les entreprises du continent Africain. Cette évolution s’inscrit dans celles de la Loi qui outre la création d’une entreprise qui veut être pleinement responsable, porteuse de sens pour ses participants et réconciliée avec la société, porte aussi une nouvelle philosophie de pensée du monde des affaires qui a pour vocation d’être un « pari sur l’avenir ».
La loi PACTE incite les sociétés commerciales à « Repenser la place de l’entreprise dans la société » et propose 3 outils tels une « fusée à 3 étages ».
Le premier étage étant celui de la deuxième phrase de l’article 1833 du code civil qui impose un nouvelle norme gestion « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. ».
Ce contrôle a priori s’applique à toutes les sociétés. Le second vient modifier l’article 1835 en code civil en créant la Raison d’Être des entreprises « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. Un comité de mission se chargera du suivi de son exécution ».
Le dernier créé l’article L 210-10 du code de commerce et la qualité de société à mission : « les statuts doivent préciser une raison d’être ainsi qu’une mission constituée par un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ».
Plus de 18 mois après l’adoption de la Loi Pacte, une prise de conscience, un changement culturel et une nouvelle grille de lecture est en train de s’imposer et plus de 100 sociétés ont adopté des Raisons d’Être dont Michelin, Véolia, Crédit Agricole, BNP Paribas, EDF, SUEZ. Il faut noter que ce modèle intéresse aussi les entreprises de tailles moyenne et les derniers recensements démontrent qu’elles sont aujourd’hui majoritaires. Les sociétés à mission sont moins nombreuses, on en dénombre une cinquantaine avec de grands noms comme INVIVO, DANONE, MAIF, Yves ROCHER mais surtout des PME.
Libérer les énergies en Afrique
Dans tous les pays, et ceux du continent africain ne font pas défaut, les grands groupes ou les entreprises de taille moyenne ou petite qui s’y trouvent sont au centre de nombreux défis et dilemmes stratégiques qui peuvent créer le trouble tant chez ses collaborateurs que chez ses parties prenantes externes comme les bailleurs de fonds, les fournisseurs, les clients ou le territoire sur lequel elles se trouvent, s’ils ne sont pas clarifiés. On peut lister trois grandes difficultés pour ces entreprises telles que l’accès au financement, l’embauche des talents et leurs gouvernances, mais pour toutes celles-ci il faut y ajouter le respect des problèmes contemporains notamment environnementaux et sociaux.
Une question visionnaire s’avère alors cruciale : ce qui est au cœur de cette réflexion, c’est la place de l’entreprise africaine dans le futur. Or ce futur est aujourd’hui, pour la plupart d‘entre elles, une interrogation tant elle est face à des problèmes jusqu’alors insoupçonnés : problème d’innovation, rupture de business model, innovation économique disruptive. ; on ne compte plus les nouveaux mots qui font, sur leurs simple évocation, peur 5G, autopilote, économie digitale, automatisation du commerce physique, néo-banques, la nouvelle voiture, les sources substituables d’énergies etc…
Il faut aussi s’interroger sur ce que signale le mouvement des « startups ». On préfère y voir le signe d’une jeunesse entrepreneuse et innovante. Mais on doit penser qu’une partie de cet engouement tient aussi à une défiance envers les entreprises telles qu’elles sont ; le choix de la voie entrepreneuriale traduit ainsi la marque d’un repli.
La Raison d’être ou la mission permettent justement de préciser le sens général qu’une entreprise veut donner à son action face à ces défis. Cette démarche a généralement des effets immédiats positifs sur les parties prenantes, modifie les relations de l’entreprise avec celles-ci, mobilise les énergies internes et favorise à terme l’amélioration des performances.
Les salariés, les investisseurs se sentiront co-engagés et rassurés par la cohérence de la nouvelle démarche. Les fournisseurs et clients s’appuieront sur cette vision à long terme pour accompagner la transformation de l’entreprise et développer leur propre évolution en cohérence.
Les nouvelles générations Y et Z, hostiles habituellement aux entreprises familiales, ou réputées polluantes ou indifférentes aux progrès collectifs se montrent sensibles à l’idée qu’en participant aux valeurs de l’entreprise inscrites dans sa raison d’être et sa mission, elles seront au cœur des transformations de l’ensemble du système de production, de consommation, et d’innovation. Leur participation au comité de contrôle de la raison d’être ou de la mission leur donnera le sentiment d’avoir une voix écoutée dans la construction du chemin futur qui s’ancre sur un réexamen critique et reconstructeur des notions de contrôle et de bonne gouvernance. L’ingénierie juridique et gestionnaire de la mission permet aussi aux entreprises familiales notamment de régler sereinement les successions d’entreprises (en empêchant un acquéreur de détourner l’entreprise de la mission voulue par son fondateur) ou une mutation énergétique ambitieuse.
Un vent favorable
Offrir aux entreprises africaine le choix de combiner un capitalisme à but lucratif et un capitalisme à mission est une véritable révolution qui répond aux attentes de ces entreprises.
A cet égard, on restreint à tort, l’idée de « mission » à la seule responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise (RSE) alors qu’elle va bien au-delà car elle préfigure un changement rapide du monde des affaires dans sa généralité. Au-delà de ces considérations, de nouvelles voies vont se dessiner pour permettre de substituer les notions de « cohésion » et d’innovation à celle de contrôle.
Quel doit être la réaction du monde entrepreneuriale africain face à une telle évolution ? Il devra lui aussi opérer une réforme profonde pour s’adapter et transformer toutes faiblesses en opportunités. Là encore, on peut voir émerger une fonction positive du modèle de la société à mission car il pourrait inciter des entreprises d’un même territoire ou à l’international a noué des partenariats dont ils pourront assurer la cohésion jusqu’ici peu pensable. Si les entreprises africaines savent saisir ce moment, elles pourront, dans ce domaine, donner une impulsion nouvelle aux fondements de leurs activités.
Errol COHEN
Avocat
LE PLAY avocats