Pourquoi l’agriculture doit devenir « à mission »

TRIBUNE — Pour l’avocat Errol Cohen, praticien associé à Mines ParisTech et théoricien des entreprises à mission, la filière agricole devrait plus se pencher sur ce statut. Qui permettrait de régler bien des problèmes.

Alors que le salon de l’agriculture va ouvrir ses portes, des tracteurs se préparent à envahir une nouvelle fois les axes routiers. La grogne des agriculteurs met une nouvelle fois en lumière, la situation économique difficile de cette profession qui voit sa rémunération diminuer alors que les normes écologiques ne cessent d’augmenter.

Le mouvement de contestation a déjà, le mois dernier, bloqué les routes pendant plus de 10 jours et a fait craindre une pénurie d’approvisionnement pour les industriels et les consommateurs. Parmi les mesures de soutien aux agriculteurs annoncées par le gouvernement, la pause du plan Ecophyto II + qui avait pour objectif de réduire drastiquement l’usage de produits phytopharmaceutiques a été ressentie par le monde agricole comme une victoire…

Le mauvais combat

La bête noire de l’Agriculture et des agriculteurs serait l’écologie ? On peut en douter : les agriculteurs seront les premiers à subir le dérèglement climatique car c’est leur outil de travail, leurs conditions de vie et leurs revenus qui seront affectés. Les agriculteurs devraient-ils être le seul maillon de la filière à ne pas tirer profit de la vente de leurs produits ? Et les seuls responsables de la forte inflation des prix des produits alimentaires ?

Le droit dépassé par la réalité

Ce serait admettre que les industriels de l’agriculture, de la transformation agroalimentaire et de la distribution pourraient en être les seuls gagnants. Il faut donc reconnaître que les contrats signés avec ces géants sont disproportionnés et que la logique de la négociation est incapable de soutenir la survie économique et la transition écologique d’une large part du monde agricole.

Et bien que la production agricole bénéficie d’importantes subventions européennes. Un constat lucide s’impose : le droit commercial, celui des contrats ainsi que la logique financière des sociétés industrielles et des coopératives sont dépassés, incapables de garantir aux agriculteurs des engagements de prix décents à long terme, et la continuité nécessaire à l’organisation progressive de transitions écologiques. Sans faire évoluer ces logiques, on pousse les agriculteurs soit à la ruine soit à la révolte.

La logique de l’engagement

Le droit des sociétés et la gouvernance des entreprises connaissent depuis quelques années une révolution silencieuse qui pourrait apporter à la filière alimentaire, comme à d’autres filières, une logique d’engagement et de solidarité face aux transitions à conduire.

Il faut reconnaître que tous les acteurs de la filière alimentaire doivent être responsables de l’impact de la survie de la filière, mais aussi de la santé écologique française ce que le contrat ne peut ni décrire convenablement ni garantir. La voie vers cet engagement, pourrait être la transformation en sociétés à mission (au sens de la loi Pacte) de tous les acheteurs, transformateurs (sociétés privées ou coopérative) et distributeurs (grande distribution).

Lire aussiDeux ans après la loi pacte, 505 sociétés ont adopté le statut d’entreprise à mission

Au service du bien commun

La formulation des missions permettrait de remédier aux carences du droit et des contrats, en clarifiant non seulement, les conditions d’une juste rémunération de l’agriculteur calculée sur les cycles d’investissement et les plannings de transition vers de nouveaux modèles de production. D’une certaine manière, cela signifierait que coopératives, industriels et distributeurs considéreraient que l’activité agricole est un bien commun et une fonction critique vitale que tous s’engagent à préserver.

Maintenir la concurrence

Cela ne signifie ni la suppression de la concurrence, ni la prime aux mauvais producteurs. Mais au contraire l’organisation d’une concurrence et d’une juste rémunération qui incite à une transition ambitieuse et innovante. Ainsi permettra-t-on au monde agricole le plus vulnérable de recréer un business model agricole et écologique avec la recherche et les innovations de la filière et en ligne avec les évolutions de la demande liées elles aussi à la transition environnementale. Seule une mission contrôlable et contrôlée dont se dotent les grands acteurs de la filière peut garantir un horizon clair, un avenir désirable pour l’agriculture.

Crise systémique

L’apaisement de la contestation agricole par des mesures d’aide et le renoncement aux normes écologiques salvatrices ne résoudra rien et ralentira la transition nécessaire. Face à une crise systémique et qui engage la survie écologique, il faut des modifications qui touchent aux règles institutionnelles les plus structurantes.

L’adoption de la société à mission pour l’ensemble de la filière est la seule voie qui permette d’échapper à des pratiques d’entreprise dont la myopie financière pourrait emporter le monde agricole dans une spirale destructrice qui appauvrirait le monde vivant et déstabiliserait la République.

 

Le livre d’Errol Cohen
La Société à Mission, 2019 Éd. Hermann

Avec la préface de Stanislas Guérini

TOUT SAVOIR -sur la Raison d’Être
Bimestriel à retrouver ici en téléchargement gratuit 

Plus d'actus

18 Rue de Tilsitt, 75017 Paris
Tel : +33(0)1 47 05 10 20
Fax : +33(0)1 47 05 10 21

Rechercher

© Le play Law 2019

error: Content is protected !!