LA MISSION PEUT SAUVER LE DOLIPRANE FRANÇAIS

Errol COHEN, avocat au barreau  de Paris modifie la grille de lecture de la société à mission afin de l’appliquer à l’actualité et  notamment aux cessions d’entreprises dont le produit est essentiel. Cette solution peut constituer un précèdent dont l’Etat pourrait s’emparer pour faciliter certaines transactions et garantir les engagements pris lors ce de celles-ci.  

Sanofi, la firme pharmaceutique française, dont la raison d’être est de « prévenir les maladies et de contribuer à soigner et guérir le plus grand nombre de patients possible », a confirmé récemment être entrée en négociations avec l’un des plus puissants fonds d’investissement américain CD & R, pour lui céder une participation majoritaire de sa filiale Opella. Or, cette entreprise, qui emploie plus de 11000 salariés,  produit plusieurs médicaments sans ordonnance dont le Doliprane, médicament le plus vendu dans l’Hexagone et dont les ruptures de stock pendant la Covid avaient alarmés les français.

Cette annonce a surpris le nouveau gouvernement d’autant que le fonds américain semble avoir été préféré au français PAI Partners allié à Bpifrance. Face au danger d’une perte de souveraineté industrielle, inacceptable pour un produit essentiel à la santé des Français, l’opposition parlementaire a demandé au Ministre de refuser la vente. Le ministre des finances a préféré annoncer qu’il allait demander à SANOFI de conditionner la vente à des engagements fermes assortis de sanctions, de la part des repreneurs, pour que « que le Doliprane continue à être produit en France, par des salariés en France. ».

La solution est elle crédible ?

Cette solution est-elle crédible ? Et surtout est-elle la seule possible ? On peut en douter. La France a déjà connu des engagements similaires qui n’ont pas été tenus malgré les sanctions :  notamment après la vente d’ALSTOM à l’américain General Electric. Le même problème a été posé lors de la cession avortée de Carrefour à Couche-tard.

Si de tels engagements contractuels sont trop fragiles lorsqu’il s’agit de la santé des français, et s’il n’est pas possible de recourir à une prise de contrôle étatique, il reste néanmoins une solution intéressante que l’État peut envisager, d’autant qu’il l’a lui-même créée. Cette solution aurait l’avantage d’inscrire les engagements demandés dans les statuts mêmes de l’entreprise, tout en imposant à celle-ci une gouvernance spéciale exclusivement, dédiée à l’exécution et à la surveillance de ces engagements.

Un outil du droit sans équivalent 

En effet, depuis 2019 le gouvernement, l’État français dispose avec la « société à mission » d’un outil sans équivalent en droit pour lui permettre de préserver en France la fabrication du DOLIPRANE et de maintenir ainsi un fleuron français et mondial du médicament d’usage courant. Il devrait donc imposer aux deux parties de crédibiliser leurs engagements, non seulement par la menace de sanctions éventuelles, mais aussi par une mission cohérente avec de telles obligations et qui permettrait des alertes précoces par la voix des deux organes de contrôle prévus pour la société à mission.  On peut ainsi suggérer aux deux entreprises d’adopter pour Opella la mission commune suivante :

« Notre rapprochement a pour objet le développement mutuel d’Opella grâce à la mise en commun de moyens, tout en préservant l’identité de l’entreprise, ses implantations stratégiques             locales, ses écosystèmes. SANOFI et CD&R le lieu de leurs activités dans celui dans lequel ils se trouvent aujourd’hui. Ils s’engagent à maintenir le salariat actuel et, à consentir aux                         investissements financiers et humains pour maintenir la production française de médicaments tels que le DOLIPRANE et MAALOX”. 

Cette mission devrait être inscrite dans les statuts en prévoyant l’unanimité des voix pour la modifier. Conformément à la loi des sociétés à mission, un comité de mission ayant la tâche de contrôler tous les engagements devra être institué et sa composition et son règlement pourraient être fixés par l’État. On pourrait même imaginer qu’en cas de non-réalisation attestée de la mission par l’organisme-tiers qui audite les sociétés à mission, la séparation entre les deux entreprises soit prévue avec obligation à SANOFI de trouver un nouveau partenaire.

Plus de 2000 sociétés à mission 

Cette solution pourrait créer un précèdent pour d’autres situations similaires à venir. Surtout ce serait la première fois que l’État tirerait directement profit de sa propre création législative ! Car si ni le Président de la République, ni les chefs de gouvernement n’ont jusqu’à présent pris publiquement la mesure de leur innovation, celle-ci connaît pourtant un développement rapide depuis 5 ans et le nombre de 2000 sociétés à mission a été dépassé depuis le mois de septembre 2024.

Errol COHEN

Avocat

LE PLAY avocats 

Le livre d’Errol Cohen
La Société à Mission, 2019 Éd. Hermann

Avec la préface de Stanislas Guérini

TOUT SAVOIR -sur la Raison d’Être
Bimestriel à retrouver ici en téléchargement gratuit 

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